Episode 22: "Tête à tête" (Depaz)

Le soir même
Florence a donné rendez-vous à Patrick dans un petit restaurant huppé sur une péniche, idéal pour un dîner en amoureux. Elle l'attend sur la berge, à quelques pas du petit pont d'embarcation.


Flo : Vous voilà mon cher
Patrick : Quand une jolie femme m'invite si gentiment, je ne peux refuser.
Flo : Vilain flatteur
Patrick : La sincérité ne semble plus être à la mode on dirait...
Flo : Je nous ai réservé ma table habituelle, près du hublot, la vue y est magnifique.
Patrick : La votre me suffit.
Flo rougit et prend son bras pour le dirriger vers ce petit restaurant, hors de prix, qu'elle affectionne tant.
Une fois installés, Flo est intarissable sur son restaurant, elle même, ses projets, un vrai torrent d'autosatisfaction, duquel Patrick se décroche rapidement, après avoir tenté, en vain, d'en endiguer le flot rageur.

Flo : Ce concept m'est venu lorsque j'ai compris qu'il était temps de mettre fin à la conception traditionnelle et étriquée de la restauration actuelle….. bla bala bla …. Food-picking …venu du Japon... Tiers monde chic….
Patrick (de plus en plus absent) : Il était temps que quelqu'un s'y attelle… c'est évident… Voila qui est original…

Patrick décroche totalement et se plonge dans ses souvenirs, l'univers qu'il a quitté pour se retrouver ici.

Patrick (intérieurement): Je ne pensais pas que les chemins terreux et defoncés de ces pays ravagés me manqueraient aussi vite, quitter ce que certains nomment "l'enfer vert" pour se retrouver en compagnie de ces gens étranges et superficiels, le décalage est total. Et cette fille a beau être fort charmante, elle me donne déjà envie de repartir loin, très loin de cet univers creux que j'ai quitté il y'a 3 ans pour des raisons que je m'explique encore mal aujourd'hui.
Dans ma bulle, je n'ai peut être pas vu les choses évoluer, ce qui explique mon déphasage actuel.
La restauration... Voila sûrement le sujet pour lequel j'éprouve le moins d'intéret, pas loin derriere de "au combien José est formidable". Et elle est intarissable sur ce sujet, impressionant !
Je me demande si lui raconter quelques unes de mes expériences lui rappellerait un peu quels sont les réels sujets sur lesquels il est intéressant de se pencher.
Un petit tour dans les contrées reculées du Laos, de Birmanie, la forêt congolaise, le chiapas ou les républiques du caucase... Je me demande ce qui lui ferait le plus d'effet. Lui expliquer d'où vient le bois qu'elle est si heureuse d'avoir sur son comptoir peut être. Elle le regarderait différemment, à n'en pas douter.

Il y 'a 3 ans, j'ai tout quitté pour ma "quête personnelle". Après un entraînement forcené, j'avais modifié qui j'étais, mais seulement extérieurement, c'est cela qui a du motiver mon départ soudain, sans le moindre signe avant-coureur.
Le déclic.
Et me voila de retour, pour me retrouver face à cette jeune femme que je ne connais pas et qui, manifestement, souhaite plus que me connaitre. Etrange. Pendant près de 36 mois, on ne m'a jamais rien demandé, tout juste un peu d'aide parfois, me laissant aller où bon me semble pour des raisons que je n'avais pas à partager. Trois ans de solitude ? Non, ce n'est pas ce manque qui m'a incité à revenir... Mais quelque chose de plus profond. Comme si je DEVAIS accomplir quelque chose ici...
Florence : Je pense que vous partagez également ce point de vue, non ?
Patrick : Excusez moi, j'ai un peu perdu le fil, sûrement un terme technique qui m'a égaré
Florence : je disais..... bla bla bla....
Patrick (soulagé d'avoir relancé la machine, il se replonge dans son voyage intérieur) : Nicaragua, il y a 2 ans de cela. 82% d'humidité, 9 jours de marche quasi ininterrompue, des nuits de 3 heures.
Deux jours à passer allongé dans un fossé afin de ne pas être repéré des miliciens ayant etabli leur campement à proximité, pas forcement l'expérience qu'on aimerait revivre. Théoriquement, la mission était simple: faire 2-3 vérifications, relever les positions, préparer un peu le terrain et revenir à la base.
Mais là, changement de programme, la carte était inexacte et les autres informations ne valaient guère mieux. Rien ne s'était passé comme prévu, 100% improvisation.
Se sachant en sous-effectif (1 contre 42) il avait patienté 2 jours dans ce fossé, attendant que le groupe se sépare en petits escadrons pour avoir sa chance. Le moment tant attendu eu lieu le troisième jour. Ils ne laissèrent que 5 hommes au camp, groupe largement à la portée d'un soldat surentrainé, même en autodidacte. La lutte fut brève et la place vite nettoyée.
Ce n'était pas prévu au programme, mais vu où on en été arrivé... Il laissa quelques "surprises" sur place pour le retour des miliciens et s'en retourna à la base.
Malgré l'éfficacité des "surprises" et leur impact sur la suite des opérations, la mission fut considérée comme un échec et il changea de pays. Pas vraiment le genre de souvenir qu'on aime à ressasser mais, entre la péniche et le Nicaragua il avait choisi.
Florence est certes agréable mais un peu d'évasion lui faisait du bien, dans ce monde qu'il redécouvrait et qui était bien loin de ce qu'il avait vécu jusqu'à il y a peu.

Patrick déclara que le diner fut merveilleux et cette petite soirée une vraie réussite, il complimenta Florence, la ramena chez elle, laissa la voiture un peu plus loin et choisi de marcher dans l'air glacial, pour continuer sa reflexion jusqu'à chez ce cher Francis. Huit kilomètres, ça devrait être assez.


----------------------------------------------------------------------


Episode 23:
"L'appel" (Jyuza)

Il est 13h06 quand Chloé quitte son appartement de la résidence " les nymphes " pour se rendre au parc de l'autre côté de la rue. Elle s'assoie sur le banc qui fait face à l'étang des canards et attend. Quelqu'un ? Quelque chose ? Elle regarde les enfants qui jouent, deux amoureux s'embrassent, elle sourit. Soudain, l'attente est brisée par une sonnerie de téléphone : son téléphone… La conversation s'entame…

Stéphane : Allo ??? Chloé ???
Chloé : (Le visage illuminé par la voix de Stéphane) Stéphane… Où es-tu ???
Stéphane : …Je… je ne pourrais pas venir…
Chloé : Pourquoi ??? J'ai besoin de… (Long silence) On a besoin de parler.
Stéphane :… Ecoute… je… je ne vais pas venir.
Chloé : (Ne comprenant pas) Stéphane, pourquoi ??? Pourquoi tu ne viens pas ??? Tu sais très bien qu'on a besoin de se parler. Tu… tu fuis tout le temps dès qu'on doit s'expliquer…
Stéphane : (Sans voix)
Chloé : (La voix vacillante) Mais dis quelque chose… s'il te plait…
Stéphane : (Laissant juste deviner sa présence par respiration bruyante)
Chloé : (Eclatant en sanglots) Je t'en supplie… Viens…
Stéphane :… Je ne peux pas… Je suis… parti.
Chloé : (Surprise) Comment ça ???
Stéphane : Je ne suis pas chez moi… (Inspirant à fond comme si sa vie en dépendait) Je pars pendant quelques temps pour réfléchir.
Chloé : Je ne te suis pas, Stéphane... Tu sais très bien qu'on a besoin de se voir… Tout de suite, maintenant… Et toi tu pars ?!!
Stéphane : Chloé, je… j'ai… je dois m'excuser…
Chloé : (Aucune réponse de sa part, mais Stéphane sait qu'elle est encore là, les enfants faisant toujours du bruit derrière elle)
Stéphane : Je dois m'excuser car je ne t'ai pas vu quand, toutes ces fois, tu étais près de moi. Toutes ces fois où j'ai du te blesser, chaque fois que je parlais d'Eva, chaque fois que je parlais d'une autre, alors que…(Il se tait, entend Chloé sangloter de plus belle et choisi de garder le silence)
J'ai eu une journée pour réfléchir, une journée pour savoir réellement où j'en étais! J'avais beau essayer de faire le tri et le vide dans ma tête, toutes mes pensées étaient dirigées vers une seule et même personne…
Chloé : (Essuyant les larmes sur ses joues) Stéphane…
Stéphane :Non attends ! j'ai vraiment été idiot… Je me rend même compte qu'en tant qu'ami je suis un imbécile. Pas une seule fois je ne t'ai vraiment écouté, pas une seule fois je ne t'ai vu comme je… Comme je le vois maintenant. J'ai vraiment été égoïste… Mais le pire, c'est que je le suis toujours. Je sais ce que je veux aujourd'hui… mais je ne suis pas sûr de ce que je pense… (Il ne peut finir sa phrase…)
Chloé : (Elle se lève pour faire quelques pas, ne dit rien, les amoureux lui font maintenant face. Ils sont main dans la main. Elle les dépasse et s'arrête.) Je sais ce que je veux… Et… pour une fois ton égoïsme se révèle payant.
Stéphane : J'aimerais te prendre dans mes bras, sentir et savoir que tu es avec moi. Je suis tellement con, que même ça, je n'ai pas pu m'en rendre compte seul…
Chloé : Comment ça ???
Stéphane : Patrick m'a raccompagné le soir de la fête de Florence, et là, je ne sais pas pourquoi, ni comment, mais nous avons parlé, J'AI parlé… De toi, de moi, d'un nous. Il a surtout été une oreille attentive, mais il a été d'une grande objectivité, comme s'il était là pour ça.
Chloé : (Attentive) C'est bizarre, car… j'ai moi aussi parlé avec Patrick…
Stéphane : (Etonné) Ah bon ??? Quand ça ???
Chloé : Hier matin, quand je suis allé chez Francis. Je croyais justement qu'il t'avait amené chez lui, car tu étais dans un sale état…
Stéphane :…
Chloé : Et comme avec toi, il a su trouver les mots justes. Il m'a dit que…que… (Un long silence... brisé par… )
Stéphane : (Interpellé) Steph ??? Tu viens de m'appeler Steph ??? Tu l'avais jamais fait avant…
Chloé :…(Elle ne répond pas, se remet en route vers le banc le plus proche et s'assoit) Steph, je… je… je t… je tiens à toi plus… plus qu'avant… Stéphane je… (Rien ne sort, elle est comme bloquée…)
Stéphane : Je sais Chloé, je sais. Simplement parce… à la différence d'hier, d'avant-hier et de tous ces autres jours… (Il lève les yeux aux ciel, les ferme le plus fort qu'il peut, mais ne peut laisser échapper une larme… C'est donc la voix tremblante qu'il continue son intervention) C'est simplement qu'aujourd'hui… tu te sens… et te sais aimée…
(Une légère brise annonciatrice de la fin d'une époque et du début d'une nouvelle, vient alors sécher les larmes de Chloé,pour elle, le temps vient de se figer : les rires et des enfants, le chant des oiseaux ont laissé leur place au vent chatouillant la cime des arbres, créant un magnifique chant, perceptible seulement des cœurs et des esprits éveillés…)
Une voix derrière Stéphane : Allez, dis-lui quelque chose…
Stéphane : (Ahurit par cet instant unique dans une vie où l'homme est touché par la grâce de Dieu) Je… Je serais de retour dans trois jours… Tu m'attendras ???
Chloé : Bien sûr…Je ne suis pas à trois jours près…
Stéphane : Bon… Je dois raccrocher, je passerai chez toi dès mon retour et… Voilà.
Chloé : Je t'attends déjà… Au revoir…
Stéphane : Au revoir, Chloé…
(Il s'assoit et soupire, comme s'il venait de fournir un effort incroyable, se prend la tête entre les mains) Je te remercie Patrick, sans toi, j'aurais tout fait foirer encore… Comment te remercier ???
Patrick : Tu sais, tu es heureux avec ton amie, elle est là ma récompense.
Stéphane : Ca ne fait même pas deux jours qu'on se connaît… et…
Patrick : Tu sais, je n'ai rien fait. De plus, c'était ton idée ce vrai/faux départ. Tu vas devoir rester chez toi, pendant que Chloé est censée t'attendre…
Stéphane : Ca ne peut que me faire du bien… J'en ai besoin, mettre mes idées au clair… Au clair de la lune comme diraient certains… (Il sourit)
Patrick : (Un sourire traverse son visage) Tu sais quoi ??? A jeun tu es quelqu'un de très bien, en fait…
Aller, je dois y aller.
A plus, Steph…
Stéphane : A plus Patrick et merci encore…


[A suivre...]

Retour à l'accueil